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Le Park Glee Club en 1946-1950 : témoignage de première main

mardi 3 septembre 2019, par Maurice Legendre

M. Maurice Legendre nous a contactés pour publier son témoignage de ses vertes années au lycée du Parc, et de ses relations ultérieures avec Louis-T. Achille. Découvrez ci-dessous son récit, et si vous-même souhaitez raconter dans ces colonnes votre expérience dans notre chorale, sachez que vous serez les bienvenu.e.s !

Dédicace, juillet 1948

Arrivée à Lyon après-guerre

Réfugiée au Maroc pendant l’occupation, ma famille rejoignit Lyon en octobre 1946, mon père étant muté à la Direction du Génie. J’intégrai le lycée du Parc en octobre 1946 en classe de troisième. Du fait des évènements, je n’étais pas en avance dans mes études.

Je pense que c’est cette année là que nous eûmes comme professeur d’anglais M. Achille, arrivé des États-Unis. La venue d’un professeur noir, habillé moitié en civil, moitié en militaire entraina un certain remous dans la classe. Il nous accorda dix minutes de réflexion, puis se présenta.

C’était un petit homme d’origine martiniquaise dont le père, nous dit-il, était le premier agrégé noir de France. Il avait une voix très douce, agréable à entendre et parlait un français très recherché. Il écoutait toujours avec un grand intérêt et sans l’interrompre son interlocuteur, prenait un court temps de réflexion avant de donner une réponse toujours claire et de bon sens.

Professeurs du lycée du Parc, 1952-1953

Sa technique d’enseignement était nouvelle. Le matin du cours d’anglais, nous devions acheter un certain journal anglais et nous apprenions la langue grâce aux faits divers. Par la suite, il nous confia une liste de cent mots, composant le « basic English  » qui me fut très utile. Bref, son comportement, sa classe, tout me séduisit chez cet homme.

Le rapprochement avec Louis-T. Achille

Né en 1909, il avait 37 ans à son arrivée à Lyon et était célibataire. Il s’installa avenue Foch, je crois, dans un petit appartement bourré de livres. Je ne fus pas le seul à être séduit, et trois autres camarades (Grateau, Achard et Lengereau) me rejoignirent pour des réunions le soir chez notre professeur, dans une ambiance de fumée de cigarettes, pour débattre des problèmes politiques, de société ou d’enseignement. Il fit un premier mariage en 1947 je crois, et notre équipe l’aida à déménager son petit appartement pour la place Jean Macé.

Entre voyage linguistique et camping

Pour parfaire mon anglais il me conseilla de partir en camp de travail agricole en Angleterre, ce que je fis avec Grateau en septembre 1947. Mais il nous convia aussi à rejoindre la chorale d’anglais de M. Courbin, je crois, pour nous initier aux Negro spirituals. Quelques élèves d’autres classes du lycée nous rejoignirent et un petit groupe se forma en 1947, les répétitions ayant lieu après la classe dans une salle de musique possédant un piano.

Répétition de la chorale d’anglais vers 1947
De g. à d. : Lengereau, Grateau, ma main droite, Manant.

C’était le temps de Tino Rossi, Maurice Chevalier, Charles Trenet. Apprendre à des jeunes français le style syncopé des spirituals ne fut pas chose facile, et notre pauvre M. Achille y mit une ardeur et une volonté qu’il faut saluer. La note de départ était donnée par une touche de piano, mais plus tard, en concert, un petit sifflet donna le ton. A cette époque le lycée du Parc ne comprenant que des garçons, la mixité n’existait pas ; plus tard, il y eu des filles. [1]

Après le premier bac, en juin 1948, nous sommes partis camper au bord de l’Azergues et de l’Ain avec M. Achille.

Au bord de l’Ain après une randonnée, M. Achille au petit matin

Un groupe de la classe concurrente d’anglais campant aussi dans les environs, nous avions décidé d’aller virer leurs tentes, et je garde en mémoire M. Achille rampant à minuit dans les hautes herbes pour surprendre « l’ennemi ». Cette complicité entre professeur et élèves à cette époque a toujours surpris mes enfants et mes petits enfants.

Notre chorale prenant corps, il fallut trouver un nom. En juillet 1948, M. Achille nous proposa « Park Glee Club ». Park, on comprend pourquoi. Glee signifie chorale. [2] Cela fut adopté à l’unanimité : le Park Glee Club était créé.

Le Park Glee Club, fraîchement baptisé de ce nom, le 3 juillet 1948

Notre première représentation eut lieu à la fête du lycée en juillet 1948. Notre professeur de français, M. Joatton, avait composé un hymne à la gloire des héros de la guerre qu’une chorale improvisée devait chanter. « Béni soit le sang pur des héros immolés, gloire, gloire  », etc. Je crois que nous avons aussi interprété le chant des prisonniers. Mais le clou du spectacle fut la chorale restreinte de M. Achille. Nous chantions sans partition des chants appris par coeur et qui me trottent encore dans la tête. Le ton du chant était donné par un petit sifflet manié discrètement par notre chef de choeur. Notre chant d’entrée était toujours le même : Everytime I feel the Spirit.

Achard, Legendre, Lengereau et un élève non identifié, juillet 1948

Puis nous sommes allés chanter en dehors du lycée dans la région lyonnaise. Au total, à cette époque, le répertoire était assez fourni. Il y avait le chant d’ouverture, 82, Joy to the world, Heav’n, I couldn’t hear nobody pray, Swing low, Sometimes I feel chanté souvent en solo par M. Achille, Run Mary run, Were you there, Roll Jordan Roll, Go down Moses, Ezechiel saw the wheel. Mais notre répertoire ne s’arrêtait pas là. Il y avait les chants de Noël et autres : Silent night, Dame get up, Jingle bells, Deck the halls, Joy to the world etc.

J’abandonnai le groupe pour des études médicales à l’École du Service de Santé des Armées en 1950. En juillet 1955, M. Achille assistait à mon mariage en l’église Saint-Polycarpe sur les pentes de la Croix-Rousse. Je souhaitais avoir la chorale pour la messe, mais en plein mois de juillet, elle s’était dispersée. Je reçus de mon professeur un cadeau très utile, dont je me sers tous les jours et dont l’emploi me rappelle de vieux souvenirs.

Une amitié au long cours

Puis je fus muté en Allemagne, puis en Algérie, et je retrouvai Lyon en 1967 pour la préparation de l’assistanat des hôpitaux. Je revoyais M. Achille avec sa seconde femme au cours de déjeuners soit chez lui soit à Sainte-Foy où j’habitais. Nos épouses sympathisèrent et une correspondance s’établit entre elles par la suite.

Je fis connaissance de son fils Dominique qui suivit, je crois une carrière militaire. Mon dernier fils se prénommant Étienne, M. Achille me disait vers 1961 « moi aussi j’ai un petit Étienne ». C’était le dernier fils de son second mariage.

Je fus invité à participer au trentième anniversaire du PGC en fin d’année 1978. J’y vins avec mon épouse, une photo trouvée sur le site du PGC, en témoigne. La dame en long manteau à gauche de la tête de M. Achille est mon épouse, et je suis juste derrière deux hommes en costume clair au centre de la photo. Dans l’opuscule édité à cette occasion, sont racontés mieux que je ne l’ai fait, les débuts de PGC. J’ai suivi mes souvenirs et mes émotions.

Festivités du trentenaire du PGC, décembre 1978

Vers cette époque, une nièce de mon épouse, Marianne Pelosse intégra la chorale qui parcourait le monde. Elle me donnait des nouvelles de mon ancien groupe et m’envoya une cassette du voyage en août 1988 de la chorale à Salt Lake City.

Enfin dans les années 1980-81, je reçus chez moi, près de Dijon, M. Achille. Mes enfants firent sa connaissance et ils se rappellent encore le beau sourire de cet homme et surtout son application presque religieuse à fabriquer un punch.

Je ne fus pas mis au courant de sa mort en 1994. Elle me fut annoncée tardivement par son épouse, je crois. Je ne pus donc pas me rendre à son enterrement pour lui dire un dernier adieu. C’est l’un de mes regrets. Mon épouse décida de renvoyer sa correspondance à sa veuve.

Je vais avoir quatre-vingt-dix ans et ma route a été longue et mouvementée. Deux hommes marquèrent durablement ma vie, l’un d’eux fut M. Achille. Son charisme, sa voix chantante, sa détermination m’avaient marqué. Mais une autre particularité m’a attaché à lui : sa foi, toujours présente, profonde et sans aucun doute apparent, mais qui était discrète.

Cette photo, découverte par hasard sur le site du PGC a fait remonter beaucoup de bons souvenirs. Il y a probablement quelques erreurs dans ce court travail, dues à une mémoire un peu défaillante. Mais j’ai exposé les débuts de cette chorale avec ce qui me reste de mes souvenirs. Et je remercie le PGC d’avoir pu me permettre d’évoquer la mémoire de mon ami Louis-Thomas Achille.


[1à partir de 1971

[2Les Glee clubs sont, dans la tradition universitaire états-unienne de l’époque, des chorales non mixtes

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